Les 24h du Mans 2024 en solo par Alex D.

A l’origine des 24h

Dans la famille Duros, les 24h Vélo c’est une institution. Et ce, bien avant que cet événement arrive dans l’antre mythique du circuit Bugatti et fasse naître d’interminables débats sur le dénivelé réel du fameux Dunlop ou du sens du vent le plus favorable pour battre le meilleur temps au tour.

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A l’époque, quand on parlait des 24h, on appelait ça les 24h en Saosnois, du nom de la région de la Sarthe qui accueillait cette course en relais insolite qui voyait tourner en rond des cyclistes en boyaux et en casques à boudins sur un bon vieux circuit FFC de campagne, dont le souvenir – je devais avoir une dizaine d’années à peine – me rappelle celui d’une grande kermesse qui durait jusqu’au bout de la nuit, coincé entre une armée de tentes et camping-car.

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Il existait alors toutes les versions possibles des 24h sur le Bugatti : voitures, motos, camions mais aussi rollers et j’en passe. Et pourtant, jusqu’alors les vélos n’avaient LEURS 24h sur « le circuit ». Quand en 2009, l’annonce est faite que l’épreuve aura désormais lieu sur les courbes asphaltées bordées par le chemin de Laigné, il est hors de question pour mon père et ses acolytes en lycra de manquer à l’appel.

S’en suivront 11 éditions sans qu’une seule fois, mon père ne rate ce rendez-vous sarthois de la fin Août.

La logistique est rodée. On arrive le vendredi avec rubalise et piquets pour s’offrir une place de choix dans le camping du Houx. Surtout ne pas oublier les prises industrielles pour pouvoir brancher le frigo et mettre les bières au frais entre les relais.

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Pasta party le samedi avant le briefing obligatoire auquel on ne va jamais parce que « c’est bon, on a l’habitude ». On s’aligne en équipe de 6 ce qui permet des relais appuyés d’une heure et vingt minutes, de quoi pousser un peu plus le moteur que sur les courses du dimanche avec l’espoir de « suivre les gars de devant ».

« Ce qui compte c’est pas l’arrivée, c’est la qûete »

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J’ai apprécié l’expérience mais il est clair qu’il a manqué une chose: le faire en famille. Alors il faudra revenir, et cette fois, père et fils dans la même équipe.

La rencontre avec l’ultradistance

Le COVID passe par là, brisant alors la série ininterrompue de participations de mon père puisque l’édition suivante est annulée. Et entre-temps j’ai découvert un truc marrant: l’ultradistance.

Je m’inscrit alors simultanément à la Race Across France 2022 et aux 24h du Mans et comme promis, la famille est réunie, cette fois-ci sous la tunique orange de Jow, mon employeur – placement de produit, t’as vu.
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Quand vient l’heure de récupérer les dossards, je retrouve dans la file le fameux Riko qui me demande comment s’est passée la RAF et me dit qu’il est engagé sur l’épreuve en solo. Intéressant.

Si cette édition 2022 sera parfaite avec un premier tour coupé en tête par notre premier relayeur, une météo parfaite sur toute la course et une ambiance au top dans l’équipe, j’ai déjà l’envie inconsciente de tester « le mode solo ».

Car oui, entre temps j’ai fini mes premiers ultras et goûté à cette drogue douce des épreuves longues distances, à rouler de jour comme de nuit, en faisant sauter tous les repères kilométriques et temporels des habituelles des 100 bornes et 4h – ce qui est déjà énorme pour la majorité des gens.

C’est donc logique que j’ai mis au calendrier de l’année 2024 ce qui ressemble à une forme de synthèse de ces dernières années vélos.

Back to black

Venir là où j’ai vraiment commencé le vélo, en famille, avec en tête un objectif, celui de prendre un maximum de plaisir tout en utilisant la modeste expérience de ces 3 dernières années où j’ai découvert ce formidable univers de l’ultra.

Par dessus le marché, la communauté des Suicidal Urban Riders, bien connue de l’anneau de Longchamp à Paris situé à quelques kilomètres de chez moi et qui constitue l’entraînement parfait pour Le Mans, décide de faire venir un contingent bien dodu. Plus d’une quarantaine de tuniques noires habituées à avaler les kilomètres à Longchamp débarque dans le Paddock pour faire chauffer le bitume du circuit.

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L’organisation sera simple puisque la stratégie sera simple: 24h divisés en 4 runs de 6h environ avec une pause minimale et si vraiment l’envie se fait sentir, une micro-sieste au milieu.

Côté matos, c’est évidemment le BMC Roadmachine 02 one qui m’a emmené à la fin de tous mes ultras sans exception qui me fera l’honneur de m’accompagner, avec petit upgrade en 53-39 / 11-28. Lui qui est si habitué aux braquets plus montagneux et à être bardé de multiples sacoches se retrouve libre comme l’air pour exprimer son potentiel sans lésiner sur le confort d’un effort qui s’annonce intense.

La course

Au départ, les solos sont finalement alignés en fond de grille déjà en peloton, et nous serons autorisés à démarrer quand plus un des quelques 600 premiers relayeurs ne sera encore à pied.

A côté de moi, je discute avec un concurrent fort sympathique qui me parle de son voyage à Athènes à vélo et de ses expériences sur les Race Across Series. Tiens, tiens. Il terminera l’épreuve sur la plus haute marche, en ayant bouclé 201 tours et 840km. Bravo, Bastien !

Le départ me surprend. Sur la grosse soixantaine de solos, une bonne dizaine part en sprint dans l’espoir de rattraper un groupe de tête déjà à plusieurs dizaines de mètres qui formera un peloton énormissime qui bouclera les premiers tours de piste sur des moyennes frôlant parfois les 50km/h.

D’autant plus qu’il va falloir ménager ses forces car le vent est de la partie en ce début de course. Des rafales soufflant à 70km/h de dos dans la montée du Dunlop, imposent des relances appuyées dans la partie habituellement plus roulante du circuit.

L’orage annoncé va venir doucher les ardeurs des plus motivés dès 45 minutes de course. Des véritables rideaux piquant le nez à la sortie du Garage Vert vient tremper une piste qui peut devenir piégeuse par endroit. Je redouble donc de prudence car on sait qu’en ultra, on gagne rarement dans les descentes mais on peut clairement tout y perdre. Au tour suivant, le concurrent qui me précède prend une rafale dans la roue arrière au niveau du virage de la Chapelle et glisse devant moi. J’évite la chute de peu et reste concentré alors que la pluie diminue progressivement.

A cet époque, je suis le reporter qui fait des photos et des vidéos, je suis le porteur d’eau qui ravitaille et remotive entre les relais. Bref, j’essaie d’être l’assistant dont tout participant, qu’il soit seul ou en équipe, a besoin au milieu de tumulte fou et toujours plus impressionnant que sont les 24h du Mans Vélo chaque année.

Mon seul fait de gloire: la « matinale ». Une heure avant que les chevaux s’élancent pour pouvoir profiter du circuit en famille.

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C’est d’ailleurs par cet objectif que j’ai commencé le vélo en 2018. A la recherche d’un but pour me motiver à trouver une régularité dans une activité sportive, c’est évidemment vers les 24h vélo 2019 que je vais me tourner, seule course de vélo que je connaisse à l’époque qui soit ouverte aux non-licenciés.

J’investis dès lors dans « un beau vélo ». Un Giant Propel Advanced 2014 d’occasion, équipe en QRings ovalisé. La classe à l’époque où Chris Froome ridiculise tout le monde avec ses machins ovoïdes.

Manque de chance, il y a une autre tradition dans les 24h: l’inscription. Aussi rude que le départ de la course elle-même. Des centaines de passionnés prêts à lâcher leur billet pour accéder au Graal: tourner en rond sur un vrai circuit comme les vraies motos. N’ayant pu réunir une équipe dès le départ, je manque l’ouverture et très vite l’évènement est complet.

Mais comme un symbole, une semaine avant le départ des 24h 2019, coup de téléphone de ma maman : « Tu veux toujours faire les 24h? Il y a un copain de ton père qui cherche un remplaçant ». Et c’est donc grâce à Eric, alias Riko, que je vais m’aligner dans une équipe de 4 pour cette première édition pour moi qui m’engage à tenir 3 relais de 2h.

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Riko, ce n’est pas n’importe qui car j’apprends à mon arrivée pour la première fois en tant que concurrent, que mon capitaine d’équipe vient tout juste de rallier l’arrivée de la Paris-Brest-Paris, et enchaîne comme si de rien n’était une course où il faudra dormir peut et rouler de nuit.

J’arbore fièrement la tenue prêtée pour l’occasion qui ressemble ni plus ni moins à un maillot de champion de France, et c’est accompagné du speaker qui m’interroge au moment de mon relais que je vais attaquer les premiers tours de piste. J’apprendrais beaucoup de cette première participation en découvrant notamment qu’il est possible d’avoir des crampes à vélo, expérience jusqu’alors inconnue pour le néophyte que j’étais.

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On se dit alors entre solos que le plus dur est fait. Je finis mon premier run pile au bout de 6h et 210km avalés à plus de 34km/h de moyenne. Je n’y crois même pas. Si seulement c’était aussi simple sur les ultras mais il faut avouer que le revêtement et l’effet de groupe amène tout le monde à rouler à des vitesses spectaculaires.

Mon père est là pour gérer la logistique et les petits détails qui font gagner du temps pendant les pauses : « Tu veux pas prendre une veste ? »

Je me dis qu’il fait très bon et que la veste me tiendra surement trop chaud et je repars à 21h20. Prochain arrêt programmé à 3h du matin.

C’est à ce moment que la météo « made in 2024 » s’est rappelée à moi. En l’espace d’à peine 10 minutes et 2 tours de piste, un véritable déluge s’abat sur le circuit. Certains pensent même à de la grêle tellement ça tape fort mais ce sont juste ces rafales violentes qui font ressentir chaque goutte comme un coup de fouet. A ce moment, je vois un manège de retour aux stands. On récupère des vestes, on s’équipe pour le froid.

Pour ma part, je décide de rester en piste, je n’ai pas encore si froid. Mon expérience 2 mois plus tôt dans le haut du col de la Lombarde au BikingMan Alpes Maritimes a sans doute forgé une petite résistance supplémentaire qui me permet de rester patient et d’attendre que la situation s’améliore.

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Pour autant, je suis impressionné par les groupes de têtes qui continuent à rouler à une vitesse très élevée alors que certains endroits du circuit sont gorgés d’eau et qu’on ne distingue que les petits points rouges des loupiotes arrières de chacun.

Petit à petit, la piste sèche et je trouve un rythme que je tiendrais pendant 12h à l’aide des groupes que j’accroche çà et là. Une vitesse moyenne aux alentours des 33km/h et j’installe une petite routine dans les tours pour ne pas baisser de rythme.

On est alors bien aidés par quelques irréductibles supportrices et supporters qui restent là pour encourager et ambiancer toute le monde, sans exception.

Je cible alors un arrêt quand j’aurais passé la barrière des 400km. C’est chose faite à 3h30 et j’arrive dans le stand et à ma grande surprise, je ne ressens ni envie ni besoin de dormir. Je mange donc beaucoup pour refaire les stocks pour les 6 prochaines heures et je vois tout de suite que la plupart des gens qui restent dans les stands cherchent à se réchauffer. L’humidité a rendu l’atmosphère frais et le vent vient tout glacer tout dans cette zone du Paddock extrêmement exposée aux courants d’air.

Je décide donc rapidement de repartir. Si je tiens jusqu’au lever du soleil, je sais déjà que tout ira bien. J’ai alors les meilleures sensations de toute la course: les jambes vont bien, j’arrive à accrocher des groupes réguliers, le vent est tombé et rend la partie opposée à la ligne droite bien plus simple. Les heures filent et déjà un lever de soleil vient illuminer le stade de foot situé juste derrière le virage du Garage Vert.

Ce moment semble figer le chronomètre quelques instants : pas de speaker, pas de supporters, juste des bruits de chaînes, de dérailleurs, et de tout ce qui fait le bruit caractéristique d’un troupeau de vélo. La fatigue se fait sentir chez tout le monde mais l’arrivée du jour signifie qu’on rentre dans le dernier run.

Mon père me rejoint à 9h pour un dernier ravitaillement. Il me tient informé du classement que je n’ai pas même pas regardé jusqu’à ce moment-là. Je suis 7ème, dans le même tour que les 2 concurrents précédents.

Cela me donne une petite motivation supplémentaire pour repartir aussi vite que possible. Au total, je me serai arrêté 1h. 3 pauses de 20 minutes pour faire le plein.

Cette fois en revanche, le redémarrage est plus difficile, la fatigue dans les jambes est là mais le moral est au top. Très vite, on s’aperçoit finalement qu’au jeu des pauses je suis 5e et qu’il est impossible que le classement change pour les 2h qui restent, tant que je reste en piste.

Les 2h seront alors une série de débriefs avec tous les concurrents solos qu’on croise. Beaucoup de concurrents par équipe nous félicitent et ça fait plaisir.

A 2 tours de l’arrivée, Bastien qui m’a déjà pris de multiples tours depuis ce matin ralentit à mon niveau. Il m’apprend qu’il a gagné et clairement, cette édition tient son plus chouette vainqueur de la catégorie.

Je coupe la ligne après 180 tours effectués et près de 730km au compteur (750km selon les organisateurs ^^).

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Je suis physiquement bien cramé mais content d’avoir respecté la stratégie que je m’étais fixée, le tout sans jamais me mettre en danger et en ayant profité de l’événement au maximum.

C’est une expérience définitivement singulière dans le monde de l’utradistance car elle vient avec son lot de difficultés qui ne peut exister que sur une épreuve comme celle-là, tout en permettant aux plus expérimentés des courses sur plusieurs jours, de se faire plaisir et de prendre des risques pour repousser ses performances sans se demander s’il sera compliqué de trouver une boulangerie, une station-service ou des toilettes publiques pour dormir au chaud.

En revanche, comme elle se termine par définition dans les 24h suivant son départ, c’est aussi très piégeux pour les cyclistes ultras habitués à « se mettre dans le rythme » le premier jour.

Le circuit Bugatti reste un temple de la vitesse. On y est entraîné sans s’en rendre vraiment compte. Une ultra-bonne expérience.

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